mercredi 12 décembre 2007

Comment vous dire ce qu'est « le fado » ? …



Les grandes personnes disent du fado qu’il est la chanson typique de Lisbonne, avec des accents pleurnichards et fatalistes. [C’est ainsi que la 5ième édition du dictionnaire de langue portugaise le détermine]. Moi qui ai gardé mon âme d’enfant, comme quand mon âme ne connaissait d’autre Dieu que les rues et ruelles ensoleillées de Lisboa, je me dis que les grandes personnes devraient aussi prendre des fessées quand elles disent des bêtises.

Certes, il semblerait que le fado est né dans les rues de Lisbonne. J’ai eu l’opportunité de lire à ce sujet, un peu de tout et son contraire. Ce que je sais est que le fado a bercé mon enfance solitaire et turbulente.

Je me souviens que dans les rues de mon quartier, ici et là, on entendait quelquefois crier « Taisez-vous ! Amália va chanter le fado». Et les gens s’arrêtaient. Les yeux collés à une jolie boîte en bois et en tissu, avec des lampes à l’intérieur qui illuminaient une sorte de règle pleine de chiffres. Et ce souvenir inaltérable de tous ces regards enivrés d’émotion, comme hypnotisés par une merveilleuse et puissante voix de femme.





Amália - Com que voz




Le fado terminé, tout le monde applaudissait et on entendait toujours quelqu’un crier : « Viva Amáááááália ! » et les autres lui renvoyaient : « Viva ! » ou bien « Ah fadiiiiiiiiiista ! » et on applaudissait encore. Puis la vie reprenait son cours, avec ses odeurs, ses bandes d’oiseaux qui dansaient, infatigables, de toit en toit, avec ses chiens de rue qui venaient vous mendier une caresse et puis ses indispensables bavardages et commérages tellement futiles et humains.

Il m’arrivait souvent d’aller traîner dans un des multiples «miradores» (points de vue de la ville) de mon quartier.

Lisboa vue d’en haut est magnifique. On voit distinctement ses collines. On voit le château de Saint Jorge qui domine la ville. On voit le Christ Roi, les bras ouverts, comme s’il voulait enlacer Lisbonne. On voit couler le Taje, bercé par le fado. Paisible et heureux d’être le témoin silencieux de siècles d’histoire.





Dulce Pontes - Canção do mar





Je restais là, des heures sans fin, comme un boulimique, à manger Lisbonne des yeux. J’aimais respirer ses odeurs. On sentait le parfum du linge propre, du savon, de l’eau de Cologne bon marché. Les arômes de café chaud, de jasmin, de romarin, de persil, de l’ail, de la cannelle, de l’huile d’olive. L’odeur du poisson grillé et des poivrons cuits au charbon. Puis l’odeur du pain frais. Le riche parfum sucré des fruits. Du melon, de l’ananas, des oranges, des raisins et des figues fraîches, qu’on volait avec le consentement amusé du bon Luis, l’épicier, qui faisait semblant d’être toujours en colère, et qui nous menaçait avec son balai.

On entendait, un peu partout, au loin, des voix de femmes qui chantaient le fado pendant qu’elles faisaient le repassage sur la véranda. On entendait les aiguiseurs de couteaux, ciseaux et réparateurs de parapluies s’annoncer à voix haute qu’ils étaient dans le quartier. Et puis on entendait aussi les vendeurs de lait, fromage et beurre. On entendait aussi les gitans annoncer la vente de tissu, couvertures, couvre-lit, etc.

Et tout cela en échangeant des histoires de leurs malheurs comme pour adoucir leur existence. Et tout cela parlait fort. Et tout cela pleurait. Et tout cela dansait et riait. Et tout cela pétillait de vie. De tendresse. D’humanité. Et tout cela était « le fado ».





Cristina Branco - Água e mel




Je me souviens que plus bas il y avait la rue des « varinas » (vendeuses de poisson) qui traînaient toujours leurs chariots en chantant amusées des chansons paillardes, pour attirer l’attention des passants.

Puis, entre deux bistrots à vin, un aveugle vendait des billets de loterie accrochés, par une pince à linge, à une grande feuille de papier avec des textes de chansons, tout en jouant de l’accordéon et en chantant les derniers airs à la mode. Il connaissait les gens au son de leur voix, leur odeur, leur façon de marcher. Puis il caressait doucement l’argent. Ça me fascinait. Je luis disais en me moquant : «Dis, Francisco, pourquoi tu caresses toujours l’argent ?» et il me répondait : «C’est pour bien le connaître». Pendant longtemps j'ai cru que mes parents n'avaient nulle envie de savoir qui j'étais.

Aujourd’hui, à cinquante ans passés, chaque fois que je quitte mon pays, il y a toujours un air de guitare, une voix de femme qui murmure un fado qui m’étrangle le cœur. Je ferme les yeux et je vois défiler la Lisbonne de mon enfance. Avec ses odeurs, ses visages souriants ou parfois tristes, ses oiseaux qui dansent dans un ciel bleu généreux comme le soleil. Le château de Saint Jorge, le Christ Roi qui a toujours envie d’enlacer Lisbonne, et puis, le Taje, toujours paisible et heureux.

Je sens mon pays couler dans mon sang jusqu’au plus profond de mon être et je me sens m’enivrer de cette émotion incontrôlable que les Portugais appellent saudade (ce mot tellement indissociable du fado, qui vient du latin « fatum », c’est-à-dire destin).

Et puis je sais, au plus profond de moi, qu’à chaque fois qu’on me le demandera, je ne saurai jamais dire, vraiment, tout à fait, ce qu'est « le fado ».





Mariza - Ó gente da minha terra


4 commentaires:

Anonyme a dit…

Comme elle est belle ton histoire Armando, tes souvenirs d'enfance dans ta Lisbonne. Tu racontes tellement bien que j'ai l'impression d'y être, de sentir toutes ces bonnes odeurs, d'écouter le fado, de voir toutes ces scènes journalières, d'admirer Lisbonne depuis un mirador et de vivre une vie simple mais combien chaleureuse. Que de souvenirs ! Je comprends ta nostalgie lorsque tu dois quitter ton pays car les gens de ton pays ont encore le sens de l'hospitalité et de l'amitié.

Merci pour ce beau moment d'émotion et pour les magnifiques voix qui chantent le fado.

Amitiés et bonne journée.

Anonyme a dit…

LE FADO
On apprend à aimer le fado depuis notre petite enfance
Ceux que son née à Lisboa comme moi et Armando on le chant depuis toujours
Tous ce que tu as écrit je le sens moi, cette (SAUDADE), le mot que ne existe qu’en PORTUGAIS. Car moi aussi je suis née dans un cartier populaire de Lisboa. La ou les « varinas » vendaient le poison frais tous les jours et les enfants jouent dan la rue. Oh que SAUDADE de mon enfance heureuse.

LISBOA quando eu era pequenina
Acabada de nascer
Mal abria os meus olhos
Já era para te ver.

Bon je vais arrêter car il y a une larme que coule jour mes joue
Merci Mandocas

Anonyme a dit…

J'ai un cd de fados (je me demande d'où il sort lol) et je l'écoute très souvent Mais il est vrai qu'il me semble me souvenir que celui qui me l'a fait découvrir était un spécialiste...

Anonyme a dit…

Je reste émue et sans voix quand je lis et relis ce texte qui parle autant du fado que de toi. Un texte qui a une saveur, des couleurs, des sons, un texte tellement vivant qu'il ne pouvait être écrit que par un amoureux de Lisbonne et du fado.

Et le relire en écoutant chacune des chanteuses est tout simplement magique... À essayer!