jeudi 13 décembre 2007

Sur une toile de Nicolai Fechin

Troisième dimanche. Temps de lire les textes inspirés par la toile de dimanche dernier ?


Temps pour une nouvelle toile ? Temps pour un lecteur ?


La toile de Nicolai Fechin est à vous, à vos mots, à vos histoires, à ce que vous “lirez” dans le tableau.


“Étonnez-moi!” comme a un jour dit le chorégraphe Diaghilev à Jean Cocteau.








Il était toujours très matinal. Une habitude que lui venait de ses jeunes années. Il aimait bien voir le jour se lever, se promener dans son jardin et assister à l’éveil des fleurs, encore perlées du froid de la nuit. Il avait pris l’habitude de parler à son chien Jacob. Il lui parlait d’une voix si douce et si apaisante qu’on croyait parfois qu’il parlait à un de ses semblables. Il y avait comme un air de vieux couple complice entre eux. En les regardant bien, on se demandait lequel des deux était l’heureux compagnon de l’autre.


Au bout d’une heure et demie de promenade et de palabres, il venait s’asseoir sur la véranda, où il prenait tranquillement son petit déjeuner en lisant d’abord son courrier et puis son journal. Son ami se couchait à ses pieds et restait aussi silencieux que son maître. On entendait vaguement le bruit sourd de la dame de compagnie dans ses travaux domestiques et puis le chantonnement joyeux et irrespectueux de la nature que le vieil homme semblait apprécier autant qu’une douce musique.

Ce matin-là, la première page du journal annonçait, tout en largeur, que les États-Unis venaient d’acheter l’Alaska pour un peu plus de 7 millions de dollars. Une photo d’un certain William Seward, secrétaire d’état américain, remplissait la une de son sourire conquérant.

Le vieil homme lisait son article l’air sombre. Attristé. Mais sans exprimer un mot. Il semblerait que les États-Unis n’ayant pas la totalité de l’argent avaient dû emprunter une partie de la somme à la Riggs Bank.

Les Américains, bien qu’heureux de l’achat de l’Alaska, avaient un goût amer de ne pas avoir pu faire la même chose avec le Groenland, l’Islande et le Canada.

On raconte que ce matin-là on a entendu le vieil homme murmurer à son chien qu’un morceau de la Russie avait été rattaché à l’Oregon et qu’il était perdu à jamais. Et que d’une voix toujours douce et apaisante, il lui avrait dit que l’Alaska allait devenir la terre d’aventuriers avides de nouvelles richesses, de gibier à fourrure et plus particulièrement de celle des phoques et parlé longuement du massacre massif de tous ces animaux.

Puis, ce matin-là, le vieil homme a raconté a son chien qu’il s’inquiétait pour le sort des Indiens, des Inuits et des autochtones laissés sans défense aux mains de tous ces aventuriers blancs sans loi qui viendraient d’abord les spolier de leurs terres et de leurs biens. Et que, plus tard, ce serait la mort des langues autochtones et de la langue et de culture russes.

Puis, le vieil homme a fait un énorme silence. Comme s’il ne trouvait plus rien à dire. Jacob, inquiet, a redressé ses deux oreilles. Il n’avait jamais entendu pleurer son maitre …


[Armando Ribeiro, publié au pays de Lali le 2 mai 2007 @ 21:16]

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Comme il est bien installé ce grand-père dans son fauteuil de jardin prenant appui sur la table avec son bras car ainsi, il se fatigue moins à tenir la lettre à plusieurs feuillets.
Dès réception de ce courrier, il est venu s’asseoir là, sa place préférée près des iris. Là, il se sent bien avec au loin, le lac. Il fait un temps magnifique et son jardin sent bon l’été.
Tout est paisible.
Il va prendre tout son temps pour lire cette lettre car il a reconnu l’écriture de sa petite-fille, à chaque fois, c’est un régal. Quelle joie mais au fond de lui, il aurait souhaité plus de pages car les nouvelles de sa petite-fille sont précieuses tellement précieuses qu’il tient ces feuillets des deux mains, comme un cadeau.

Elle lui annonce sa prochaine venue pour les vacances, lui parle de son travail en ville, de ses occupations, du stress et qu’elle a hâte de le voir pour qu’il la prenne dans ses bras, hâte aussi de partager de merveilleux moments avec lui durant ces vacances qui passent toujours trop vite. Elle a encore tant à raconter à son grand-père, toujours à l’écoute. Il est exceptionnel.

Sa lecture terminée, le grand-père se dit, ce n’est que du bonheur.